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Le motard et la moto éléphant sont dans le Khûzistân, ça ne te dit rien Geek, c’est normal tu n’es pas Khûzi. Les Khûzi, ce sont les autochtones, un peuple très ancien, leur nom dériverait de l’élamite Ūvja. Pourquoi de l’élamite ne demanderas-tu pas car tu es trop occupé à réfléchir à la bouteille que tu vas bien pouvoir ouvrir pour l’apéro auquel le motard n’a pas droit, il est en Iran rappelle-toi. Donc, pour répondre à la question que tu finis par te poser, puisque tu es encore en train de lire ces intéressantes digressions, le nom de ce peuple dérive de l’élamite car le motard est sur le territoire de l’ancien Royaume d’Elam qui s’étendit ici entre 4000 ans avant JC et la naissance du premier Empire Perse au VI° s. avant JC. Ce royaume, aux confins de la Mésopotamie, est étroitement lié à la civilisation sumérienne dont il constitue la partie orientale : la langue élamite par exemple, si elle est distincte des langues sumérienne et akkadienne, s’écrit comme celles-ci en cunéiforme. L’architecture, les dieux, les ziggourats, pas de doute, le motard est en Mésopotamie, la seule partie de celle-ci qui ne soit pas sur le territoire de l’actuel Irak, c’est un motard ému dont le cœur bat singulièrement fort qui écrit ces lignes. C’est par ici qu’est née l’écriture, et avec elle le livre et la bibliothèque, pense Geek que le plus vieux roman connu, l’Epopée de Gilgamesh, c’est quelque part en Mésopotamie qu’il fut écrit, là peut-être, sur ces terres que foule le motard, c’est par ici que sont apparus l’irrigation, l’urbanisme, les lois écrites et la jurisprudence, c’est par ici, de part et d’autre de cette frontière moderne, qu’est née la plus ancienne et la plus longue civilisation de l’histoire de l’humanité.
De Shushtar à Kermanshah
Cette roue dans laquelle nous tournons
Est pareille à une lanterne magique
Le soleil est la lampe, le monde l’écran
Nous sommes les images qui passent
Omar Khayyam (1048 – 1131)
Rubaïyat
Reprenons par le début si tu veux bien Geek, parce que le motard s’égare un peu.
Ce matin, il a fallu rappeler la moto éléphant aux dures réalités. Parce que figure-toi que, depuis qu’elle passe à la télé (voir anecdotes), elle se prend pour une starlette la teutonne, elle a commencé à faire des histoires quand le motard l’a chargée comme un baudet, comme chaque matin, avec sacs, réserves de bouteilles d’eau congelées (c’est le seul moyen d’avoir de l’eau fraîche toute la journée…) et autres bazars du motard en goguette. Après avoir été dûment fouettée, elle a bien voulu se bouger : directions le système hydraulique de Shushtar, pas question de quitter la ville sans avoir vu ce système très sophistiqué de dérivation de la rivière Kârun, avec ses de canaux, bassins, moulins, barrages qui fournit par de nombreux tunnels la ville en eau. Car ce système hydraulique a une particularité : il fonctionne depuis 2.500 ans. C’est en effet sous Darius 1er qu’il fut créé, cela donne une idée du savoir-faire des ingénieurs perses qui, au VI° siècle avant JC, ont mis au point et réalisé cet ouvrage de génie civil très complexe, et durable puisqu’il dessert encore Shushtar en eau.
Après cette petite visite matinale, le motard s'est dit qu'il allait avancer tranquillement, vers 9:30 du matin la température était parfaite pour flâner, moins de 40° tu penses. C'était sans compter l'un des multiples barrages, tantôt policiers, tantôt militaires, qui jalonnent les routes iraniennes.
Celui-ci fut policier. Encore un pandore qui s'ennuyait ferme à regarder passer les voitures. Aussi gentil que le précédent, mais un vrai bavard. Et curieux avec ça, il voulait tout savoir des français, de leur mode de vie, de la situation de l'emploi, et tout ça en s'aidant du traducteur google farsi-anglais.
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Alors le motard eut droit à de l'eau fraîche bien sûr, à des petits cafés brésiliens à réveiller une armée de morts, à une invitation à déjeuner chez lui, que le motard déclina en souriant, aux traditionnels selfies et autres photographies en tous genres, à des conseils de prudence, à deux bananes, à une nouvelle invitation à déjeuner chez lui, que le motard déclina à nouveau, toujours en souriant, à un troisième café qui semblait encore plus effrayant que les précédents, que le motard déclina aussi, deux c'était bien, un troisième l'aurait transformé en cochon d'Inde sous acide, puis il décida de remettre son casque afin de ne pas laisser de doute sur ses intentions. Le brave pandore eut l'air affreusement déconfit de celui qui vient de perdre son meilleur ami, son confesseur et son cochon d'Inde dans un même accident de tracteur mais bon, le motard aime bien les flics mais quand même.
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L'affaire dura une heure, ça ne rigole pas dans la police iranienne.
Le motard est bien en Mésopotamie, mate un peu Geek c’est la ziggourat de Chogha Zanbil, la plus grande ziggourat du monde encore debout, elle est presque intacte, seul le temple qui était à son sommet a disparu, il était dédié à Inshushinak, dieu tutélaire de Suse, et à Napirisha, dieu du pays d'Anshan, assurant l’union des pays de Suse et d’Anshan, les deux principales régions d’Elam. C’est le roi Untash-Napirisha qui l’a fait bâtir dans la ville de Dur Untash, il y a un plus de 3000 ans, bien avant la naissance de Romulus et de Rémus que la moto éléphant prétend avoir connus, mais qu’elle est lourde celle-là.
Regarde bien ça Geek, cette arche, ces escaliers, regarde cette architecture. Quand les hommes de cette ville ont bâti cette construction de 100 mètres de côté et plus de 50 mètres de haut, en Europe Rome n’existait pas, Athènes non plus, l’Europe en était encore à la cueillette et au début de l’élevage, en Europe c’était le néolithique !
Le motard serait bien resté toute la journée à inspecter cette ziggourat, d'autant qu'il resta seul sur ce site pendant toute sa promenade, plus d'une heure quand même, on ne peut pas dire que les touristes se précipitent ici, mais le soleil commençait à se faire pressant, brûlant même, et puis le motard doit remonter vers le nord s'il veut éviter la taule pour dépassement de visa. La route, au demeurant, valait aussi le déplacement.
Le motard n'utilise ni photoshop ni machin correcteur d'on ne sait quoi : ce sont les couleurs de la nature que tu as sous les yeux.
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Le motard est un nomade, il se déplace de ville en ville sur sa monture, quoi de plus normal dans cette région qu’il s’arrête pour la nuit dans un caravansérail ? Celui-ci est au pied du mont Behistun, à une trentaine de kilomètres de Kermanshah. Et ce caravansérail date de la dynastie Safavide, donc du XVIème siècle.
Le motard se fout un peu des endroits où il crèche, de toute façon, après une journée de chevauchée il est dégueulasse, sans parler de la moto éléphant, elle est immonde, donc un lit et un point d’eau ça leur va très bien. Mais là... ce caravansérail simple et magnifique, cette architecture sobre des Safavides, au milieu de nulle part, avec cette falaise en surplomb, l’endroit est magique. Pour une fois, le motard et la moto éléphant, qui a été admise dans le caravansérail comme le veut la tradition, y sont abrités les voyageurs et leurs montures, sont d'accord : ils ne veulent plus en partir.